Nous y voilà (2)


In Tous des Monstres!, de Jacques Tardi. (p.21)

Tommettes


La table porte le sol à hauteur de la main

Rebonds

Bien que les 2 carrés soient toujours bien plantés au seuil du Parc sans nom, l’exposition La Réserve s’est officiellement achevée le 9 août dernier. Annie Hudon Laroche en a tiré un texte et Étienne de Massy une série de photographies. Je les remercie l’un et l’autre et publie ici des extraits respectifs de leur travail :


«Assurément, le site de DARE-DARE fait partie de ces espaces dont la nature même est improbable. Coincé entre quatre rues, quelques immeubles et un parc, surplombé par un imposant viaduc, le site avait toutes les caractéristiques pour laisser perplexes l'administration publique de l'arrondissement Le Plateau-Mont-Royal. Que faire, en effet, de cet espace galeux qui laissait présager des usages pour le moins illicites? La réponse fût aussi simple que drastique: rien. Les fonctionnaires sertirent le terrain d’une clôture et décidèrent de ne rien décider. Loin de provoquer les railleries, c’est précisément ce geste qui suscita l’intérêt de Clément de Gaulejac et qui marque l’entrée en matière de son intervention intitulée La Réserve. Cette action irrésolue de la Ville de Montréal pointe une problématique communicationnelle qui alimente la démarche artistique de Clément de Gaulejac, celle de la double contrainte (double bind). Aussi paradoxale qu’insoluble, la double contrainte, théorisée par Gregory Bateson, se présente lorsque sont combinés deux énoncés contradictoires. L’individu interpellé se voit dans l’impossibilité de répondre à l’un des énoncés sans inévitablement désobéir à l’autre. Ainsi, s’abstenir de prendre une décision constitue en soi une prise de décision qui n’est pas sans répercussions. Contrôler, prévoir et faire, ne sont pas, contrairement à l’idée fort bien implantée dans notre société, les seuls moteurs de changements. […]»



«Une ouverture et un espace de liberté qui cherchent à embrasser le moment fragile de l’entre-deux. Ce battement qu’il est possible d’appréhender si l’on s’attarde non pas à résoudre les problématiques et les contradictions que recèlent le monde qui nous entoure mais bien à s’emparer de ces moments fugaces pour se questionner et laisser dériver nos idées tout simplement. Une manière de penser que l’impasse conceptuelle créée par la double contrainte suggère et que l’artiste alimente à travers les questionnements qu’il soulève comme celle reproduite sur l’affiche de son exposition: «Combien de temps après que l’on s’en soit levé, la place sur laquelle on était assis dans l’autobus est-elle encore la nôtre?». Une question pour le moins équivoque qui n’attend pas de réponse mais qui appelle davantage à la réflexion. C’est ainsi à une réflexion conceptuelle ancrée dans le quotidien que nous convie l’intervention mais également le blogue L’eau tiède créé par Clément de Gaulejac et qui est partie prenante de l’œuvre. Mélange de photographies, de courts textes et d’illustrations parfois humoristiques, le blogue retrace le parcours créatif de l’artiste tout en nous permettant de s’imprégner plus avant de ses pensées et d’y réagir. Il marque ainsi l’importance accordée non pas uniquement à la finalité de l’œuvre mais également à son processus de création. Un intérêt pour le projet et le processus qui se manifestent également à travers la valise exposée par l’artiste au parc sans nom. Transparente, encadrée d’un pourtour et d’une poignée métallique, la valise transporte trois mots lumineux faits de néon: nous y voilà. […]»



«Aussi minimale que poétique, l’intervention de Clément de Gaulejac, La Réserve nous invite à revoir nos automatismes conceptuels et à délaisser la pensée fonctionnelle, celle qui nous exhorte trop souvent à aller droit au but, à être productif, au profit d’un mode de pensée souple. Qu’arriverait-il si quelquefois nous nous hasardions à agir sans chercher à faire, à penser sans nécessairement aspirer à résoudre?»

L’empreinte

Un article de Libération relate l’arrestation d’une femme après qu’elle eût vandalisé une toile de Cy Twombly exposée dans une salle du Musée d’art contemporain d’Avignon. L’œuvre est un grand monochrome blanc sur lequel la contrevenante a déposé l’empreinte de sa bouche, au préalable enduite de rouge à lèvres. Le journaliste cite ensuite le directeur de la collection, navré, qui précise que le mélange de gras et de pigments des cosmétiques est ce qu’il y a de plus difficile à rénover.
Ce fait divers prend à contre-pied le cliché de l’angoisse de la page blanche, et renvoie plutôt à ce que l’on pourrait appeler l’ivresse de la page blanche, devant laquelle chacun devient auteur potentiel pourvu qu’il y dépose sa marque. L’auteure du baiser abonde en ce sens quand elle déclare à la police que «l’artiste a laissé ce blanc» pour elle.

Signalétiques silencieuses


Il est rare d’avoir, sur le coup, la conscience de l’importance d’une première fois qui va peut-être changer le cours de notre existence. Cette conscience ne peut être que rétrospective.
Il en va de même des dernières fois qui la plupart du temps nous échappent ; la dernière fois qu’on a vu quelqu’un qu’on ne reverra plus ; qu’on s’est rendu à un endroit avant un déménagement, etc. Cette inconscience de ce qui est en train de nous arriver est comparable au nécessaire déséquilibre du corps entre chaque pas. On oublie le culot qu’il faut à l’enfant pour se lancer dans le vide la première fois – et les suivantes – avant que la marche ne devienne une action tout à fait inconsciente, c’est à dire possible. J’imagine un réseau de signalétiques silencieuses qui soutiennent nos intuitions, nous permettent d’agir et de braver nos inhibitions, malgré le bavardage incessant des certitudes.

La réserve





Exposition du 7 juillet au 5 août.
Dans le parc sans nom entre Clark et St-Laurent, sous le viaduc Rosemont.

Chercher une place


Sur l’affiche de l’expo, il n’y avait pas de nom. Seulement une question et des coordonnées.
En la dessinant ainsi j’imaginais une sorte de teasing anonyme pour faire le lien entre le projet du parc sans nom et sa question initiale. L’imprimeur de l’affiche s’est joint à mon effort pour faire ce lien, mais il a dû me juger trop peu explicite. Il n’a donc pas hésité à inscrire son propre nom directement sur l’affiche (sous le bras du personnage de droite). Il réalise ainsi à mon insu un joli coup double en un seul geste, confirmant qu’une place vide ne la reste jamais très longtemps et que le nom qu’on porte (ou qu’on se donne) est bien le premier lieu qu’on habite.

Nous y voilà (1)


In Chihuahua pearl, de Charlier et Giraud.

Ibid

In La longue marche, de Charlier et Giraud.

In Angel face, de Charlier et Giraud.