Opération escargot



Une opération escargot est une manifestation de mécontentement qui consiste à ralentir sciemment le trafic automobile par la réunion ponctuelle d’un bouchon artificiel. En imposant ainsi le cadre de leurs revendications à la circulation routière, les manifestants posent un type de limite qui redéfinit radicalement la nature du cadre. Non seulement ce procédé formel ralentit la vitesse du flux, mais il ajoute – au lieu de l’y opposer – la frustration excédée des encombrés à la colère très corporatiste des encombrants. Cette addition des colères en augmente la portée symbolique, même si elle n’est visible que du strict point de vue des pouvoirs publics, garants de la fluidité des transports. Ça tombe bien, c’est souvent à eux que la démonstration s’adresse.

Formation des cadres



À propos de L’Annonciation peinte vers 1470 par Francesco del Cossa, Daniel Arrasse a montré comment l’escargot, « placé entre la limite extrême de l’espace représenté dans le tableau, et le bord ultime de l’espace de présentation d’où il est regardé », pouvait signaler « le lieu de l’échange invisible entre le regard du spectateur et le tableau ».
D’où vient cette obsession particulière qui consiste à montrer absolument le bord ?
Poser la limite entre la représentation et le lieu de la représentation permet d’annoncer que la nature de ce que l’on va voir n’est plus du même ordre, qu’on a changé de niveau logique et qu’il est temps de s’interroger sur la nature de ce passage. L’escargot du peintre montre le bord du cadre, mais il sert surtout à interroger la nature de ce cadre.
Ce dessin s’inscrit dans la continuité de cette pensée du cadre. L’escargot ne signale plus « le lieu d’entrée du regard du spectateur dans le tableau », mais pénètre littéralement la représentation. La trace de bave devient le cerne du doigt. La main présente un escargot qui la signale comme représentation d’une main qui porte un escargot. Cette lente et vague transformation de l’un en l’autre n’est plus le bord de la représentation. La ligne claire, comme limite ontologique, est remise en question. Le cadre n’est plus autour de la proposition artistique, mais intégré en elle, comme digéré par l’escargot. Il n’en perd pas pour autant sa qualité de limite - en ce sens qu’il reste le lieu d’un changement de nature - simplement la limite est partout.

Identification



« Si la source [de nourriture] est éloignée, l’abeille attire l’attention de ses compagnes par une danse frétillante, en se déplaçant de quelques centimètres sur une ligne droite orientée vers l’objectif, avant de revenir au point de départ et de recommencer. L’abeille en avançant, frétille de l’abdomen.»
Karl von Frisch cité par Paul Watzlawick dans La réalité de la réalité, p.15, Seuil, 1978.

Diables

Herber


Quand on veut débarrasser un champ des mauvaises herbes qui l’envahissent, on le désherbe. Au contraire, si l’objectif est de le mettre en herbe, on l’enherbe. Les préfixes – « dè- » qui sépare et « en- » qui inclus – sont là pour distinguer les verbes « enherber » et « désherber » du radical « herber ». Mais dans le feu de la distinction, ils semblent avoir emporté avec eux tous les sens possibles, n’en laissant pas de propre au radical. On désherbe, on enherbe, mais on n’herbe plus. Sauf peut-être à considérer qu’entre ces deux bords mitoyens que constituent les actions d’enherber et de désherber, l’action d’herber se glisse et ouvre une porte sur un sens inusité. (Par exemple : « étendre quelque chose sur l’herbe pour le faire blanchir au soleil», ou alors « empoisonner à l’aide de plantes vénéneuses », ou bien encore « parfumer artificiellement un vin nouveau »).

Ce modèle dialectique n’est pas sans évoquer l’eau tiède dont la définition traine quelque part entre l’eau froide et l’eau chaude et dont l’absence d’estime qu’elle suscite de tout bord est précisément ce qui la rend inestimable.



Faire le vide


Une borne d’incendie sur un trottoir équivaut à une interdiction de stationner devant. Nul besoin de préciser cette interdiction par un panneau portant idéogramme, cette convention est connue de tous. La peur du sinistre (autant que celle de la contravention) impose la stricte discipline sur laquelle s’appuie la borne d’incendie pour délimiter un périmètre et trouer l’alignement automobile.

La borne d’incendie possède donc la capacité rare de faire le vide autour d’elle.

Un tel pouvoir éveille la convoitise. On pourrait être tenté de se l’approprier et, tel Arthur arrachant Excalibur à son rocher, déraciner pour soi l’une d’entre elles. Il est, hélas! à redouter que, contrairement à l’épée légendaire, la borne d’incendie perde tout pouvoir dès lors qu’elle ne relie plus surface et profondeur.

Les voisins


En haut :
Extrait de Jean-Christophe Menu, Mune comix n˚1, Paris, Cornélius, 1993, p 4
En bas :
Extrait de Fabrice Neaud, Journal (4) les riches heures, Angoulême, Égo comme x, 2002, p 152

Topologie


Je me demande si la topologie peut apporter une réponse à la question posée par le billet du 16 décembre (Laisser un vide) : comment représenter l’opération qui consiste à rendre à elle-même la place qu’on occupait dans l’autobus ? Où positionner le point de rupture à partir duquel le retour à la situation initiale n’est plus possible ?
Cette question fera l’objet d’un prochain billet. En tentant de la préciser, j’en suis venu à dessiner cet autre cas de figure. Ce n’est plus l’usager qui se lève, mais le siège qui se dérobe. Cette figure classique du burlesque pose elle aussi un continuum qui se rompt; de proche en proche, l’action de s’asseoir devient celle de tomber.