Speech

Ce soir, à l’Église Saint-Stanislas-de-Kostka (sur un mur de laquelle est peint le mouton ci-contre) j’ai présenté mon projet aux Jongleurs de la gamme, l’ensemble vocal qui a accepté de chanter Les drapeaux de Buren. Je profite de ce billet pour les en remercier encore une fois.

Voici un extrait du texte que j’ai écrit pour préparer cette allocution.

[…] J’ai emprunté sa mélodie et sa forme à une chanson bien connue, La laine des moutons, pour écrire Les drapeaux de Buren. Cette chanson que je vous propose de chanter aujourd’hui confronte deux objets culturels issus de cadres de référence, sinon antagonistes, du moins hétérogènes ; La laine des moutons fait partie du répertoire des chansons populaires, tandis que Neuf couleurs au vent est une œuvre d’art contemporain qui relève d’une esthétique conceptuelle.

Celle-ci est – en principe – installée de manière permanente, dans le parc Lafontaine, au coin des rues Amherst et Sherbrooke (place Urbain-Baudreau-Gravenile). Seulement, il n’aura pas échappé au promeneur attentif que l’œuvre n’est plus là. En interrogeant la Ville de Montréal sur les raisons de cette absence, j’ai appris que le Bureau d’art public était actuellement à la recherche d’un nouveau fournisseur pour l’entretien de cette œuvre que l’exposition permanente à l’agitation des éléments détériore vite et qu’il faut remplacer souvent. Cette révélation sur les arcanes de la gestion municipale de l’œuvre m’a donné l’idée de confronter le caractère avant-gardiste de ses prémisses avec son devenir patrimonial ; en assurant l’entretien d’une œuvre qui témoigne d’un radical rejet de l’institution, la Ville de Montréal me fournit la situation que je cherchais pour dépasser les contradictions évoquées précédemment.

De même que Buren a souvent revendiqué l’anonymat programmatique de son outil visuel (les bandes verticales alternées blanches et colorées de 8,7 cm de largeur), les paroles de La laine des moutons évoquent un mystérieux « nous » dont on ne sait pas grand-chose sinon qu’il est travailleur et rural. Je réinvestis ce « nous » hypothétique et le met en scène, se donnant du courage pour hisser les drapeaux, les tisser, les livrer, les plier, etc. Bref, le « nous » de la chanson populaire s’approprie l’œuvre de Buren. Cette saisie formelle fonctionne comme un hommage critique qui me semble à même de dépasser avec humour nos contradictions liminaires. La transposition de son œuvre en chanson précipite la consécration de Buren, sans présager qu’il ait pu ou non la souhaiter. […]

Save our souls



Lorsqu’en 1906, on choisit comme signal de détresse universel, les lettres S.O.S., ce choix s’opère en raison de la clarté du rythme en langage Morse : trois courts, trois longs, trois courts. (- - - — — — - - -)
Plus tard, on donnera des significations complémentaires à ce choix arbitraire, parmi lesquelles le très spirituel « Save Our Souls ».

Partition


(Pour une meilleure lecture, cliquer sur l'image.)

Comme dans la chanson

…Hissons, hissons
Les drapeaux de Buren

Hissons, hissons

Les drapeaux de Buron…



Le résultat ci-dessus est le fruit d’une confusion entre le site Internet de la Bibliothèque nationale et son catalogue Iris. Poursuivant la recherche, je découvre dans le livre Daniel Buren (Guy Lelong, Flamarion, Paris, 2001, p73-74) une «photo souvenir», ainsi commentée :
[…] la pièce Ho Hisse !, réalisée en 1980, consiste dans «l’installation d’une frise de tissu partant de la hampe de cette statue jusqu’à l’intérieur de la première salle du musée». Or ce simple ajout, se conjuguant avec l’allure des deux figures athlétiques de la statue, suffit à donner l’impression que les figures sculptées s’essaient à «extirper l’œuvre de son lieu».
La rencontre ironique entre la rigueur conceptuelle du travail de Buren et les athlètes de la statue résonne singulièrement avec mon projet :
- On retrouve un attachement à la même anecdote (l’action de hisser).
- En réunissant une chorale pour chanter ma chanson lors de la relève des drapeaux, je cherche également à extirper l’œuvre de son lieu, à la remettre en situation en tant qu’œuvre d’art publique gérée par une collectivité. Ce point de vue critique s’appuie sur la situation plutôt qu’il ne la conteste. Je ne cherche pas à déboulonner Buren, mais bien au contraire à utiliser son œuvre pour en questionner la possible filiation.



Photo-souvenir : «Ho Hisse !», 1980.
Travail in situ, in «Kunst in Europa na 1968», Museum van hedendaage Kunst, Gand. Détail.

Pli

AT

Le 17 janvier 1987, afin de faciliter l’orientation des usagers du Métropolitain, la Régie Autonome des Transports Parisiens (RATP) installe une signalétique sur les centaines de quais que comptent les 297 stations de son réseau souterrain.

Il s’agit alors d’identifier et de distinguer l’arrière du train (AT) de l’avant du train (AT).

Quelque temps plus tard, on décide de retirer les panneaux.



(Pour voir l’animation, cliquer sur l’image, ou ici.)



0 = n-n

En signifiant l’absence par une présence, l’invention du zéro affirme le vide.

(Inspiré par la lecture de L'empire des nombres de Denis Guedj)

Chronologie

3 missions Challenger à travers 3 époques historiques.
Chacune des deux premières a inspiré et donné son nom à la suivante.

1 - Expédition HMS Challenger (1873-76).

Steamer HMS Challenger.

Ernst Haeckel et Nicolaus von Miclucho-Maclay, Canaries.

2 - Mission STS 51-L (1986).

Christa McAuliffe et Barbara Morgan, Johnson Space Center, Houston.

3 - Masque du Challenger (2007).

Clément de Gaulejac, Rue Saint-Dominique, Montréal.

(à suivre)

La galère portugaise



Dans son recueil de chroniques Le sourire du flamant rose, sous-titré Réflexions sur l’histoire naturelle, Stephen Jay Gould aborde la question des délimitations dans la nature en exposant le cas de la galère portugaise. Également connue sous le nom de physalie, cette cousine de la méduse fait partie de la famille des siphonophores. Depuis qu’on la connaît, cette catégorie du vivant pose le problème suivant aux naturalistes : sont-ils des organismes (comme par exemple l’homme) ou bien des colonies (comme par exemple la fourmilière)? Aux tenants de l’une et l’autre interprétation, Stephen Jay Gould oppose un doute quant au bien-fondé de la question : « La nature se présente parfois à nous sous la forme de continuums et non d’objets distincts aux délimitations précises. […] À mi-chemin entre la colonie et l’individu, au milieu de ce continuum […], nous découvrirons certainement des systèmes ambigus, que nous ne parviendrons pas à classer – et cette impossibilité sera l’expression non pas des limites de notre connaissance, mais simplement d’une propriété de la nature. […] Les siphonophores sont-ils des organismes ou des colonies ? Ni l’un ni l’autre et les deux à la fois. Ils se situent au milieu d’un continuum dont les deux extrêmes se transforment progressivement l’un en l’autre. »



Les siphonophores vivent dans les mers chaudes et tempérées, c'est-à-dire que leur milieu naturel est l’eau tiède. L’eau tiède se situe elle-même au milieu d’un continuum : la transformation de l’eau chaude en eau froide (ou l’inverse). Ainsi l’irréductible flou entourant la définition des siphonophores est-il comparable au milieu dans lequel ils baignent : dans les deux cas nous avons affaire à la photographie provisoire d’une transition progressive.



Les planches qui accompagnent ce billet sont tirées de l’ouvrage Kunstformen der Natur (Formes artistiques de la nature, 1904). Son auteur, Ernst Haekel (1834-1919), biologiste allemand a participé à la célèbre expédition océanographique du HMS Challenger (1873-76). Cette mission a donné son nom, quelque cent ans plus tard, à la non moins célèbre navette spatiale américaine. J' y reviendrai.