Utopie

Au moment du passage de l'Europe à la Monnaie unique, quand il a fallu dessiner les billets d'Euro, la question s'est posée : que représenter ? Les instances de l'époque ont devancé toute contestation nationaliste potentielle en imaginant des portes et des ponts «de style européen» qui toutes ont la particularité de ... ne pas exister. La vulgate anti-européenne s'est aussitôt emparée du symbole pour brocarder, preuve à l'appui, la vacuité de ce projet d'union faisant fi de toute réalité historique, jusque dans la matérialité même de ses édifices. À l'époque j'avais aussi regretté qu'on se prive des formes de son architecture réelle pour représenter l'Europe sans frontière.
En y repensant aujourd'hui, je me demande si un pont «réel» l'est vraiment plus que ceux dessinés sur les billets d'Euro. Les pierres des premiers sont-elles plus réelles que l'encre qui a servi à tracer le dessin des seconds ? Je crois que ce renoncement au référent historique est un geste bien plus fort qu'il n'y paraît. Les ponts et les portes génériques des billets européens n'incluent ni n'excluent personne. Leur irréalité affirmative a quelque chose d'utopique qui semble faire un pied de nez aux chimères de l'alter-monde.